Marcel Pagnol, l'homme, l'auteur, le cinéaste, l'académicien

l'Inauguration du lycée le 6 octobre 1962

Le discours d'inauguration le 6 octobre 1962

Le discours de Marcel Pagnol à l'Académie Française

La partie de cartes dans la pièce Marius, acte 3

Petite iconographie de Marcel Pagnol et de son oeuvre

Quelques citations célèbres

 

 

 

 

 

 

 

 

Biographie de Marcel Pagnol

1889

Nomination de Joseph Pagnol à un poste d'instituteur à Aubagne

1893

Joseph Pagnol épouse Augustine Lansot

1895

Naissance de Marcel le 28/02 au 16, Cours Barthélemy à Aubagne

1897

Installation de la famille à Saint-Loup

1998

Naissance de Paul Pagnol (le Petit Paul des "Souvenirs d'Enfance")

1900

Déménagement à l'école du Chemin des Chartreux

1902

Naissance de Germaine Pagnol

1904

Premières vacances à la Treille (la Bastide Neuve)

1905

Elève au Lycée Thiers à Marseille

1909

Naissance de René Pagnol

1910

Mort d'Augustine Pagnol
Premiers poèmes dans la revue "Massalia"

1913

Marcel obtient le Bac Philo (mention assez bien)

1914

Fondation de la revue "Fortunio" qui deviendra célèbre sous le titre "Les Cahiers du Sud"
Mobilisé à Nice puis réformé
Répétiteur aux collèges de Digne puis de Tarascon

1916

Marcel épouse Simone Collin
Obtient une licence de Langues et Littérature Vivantes

1917

Professeur-adjoint d'anglais à Pamiers sur Ariège
puis au lycée Mignet à Aix en Provence

1920

Professeur-adjoint au lycée Saint-Charles à Marseille
"Catulle", drame en vers

1921

"La Petite Fille aux Yeux Sombres"

1922

Professeur-adjoint d'anglais au lycée Condorcet à Paris

1924

"Tonton", comédie

1925

"Les Marchands de Gloire", pièce satirique en 5 actes

1926

"Un Direct au Cœur", comédie. "Jazz", pièce en 4 actes

1927

Marcel Pagnol abandonne l'enseignement

1928

"Topaze", comédie en 4 actes

1929

"Marius", pièce en 3 actes et 6 tableaux

1930

Premier film sous la direction d'Alexandre Korda

1931

"Fanny", pièce en 3 actes et 4 tableaux

1932

Parution de "Pirouettes", un roman écrit en 1922
Films : "Fanny", "Topaze" avec Louis Jouvet
Mort de Paul Pagnol

1933

"Joffroi", film. Fondation des "Artistes Associés".

1934

"Angèle", film

1935

Films : "Merlusse", "Cigalon". Fondation des "Cahiers du Film"

1936

Films : "César", "Topaze"

1937

Films : "Regain", "le Schpountz"

1938

Film : "La Femme du Boulanger"
Inauguration des Studios Marcel Pagnol à Marseille

1940

"La Fille du Puisatier"
Pagnol président de la Société des Auteurs

1941

"La Prière aux Etoiles", film inachevé

1944

"Le Songe d'une nuit d'été"

1945

Film : "Naïs. Mariage avec Jacqueline Bouvier

1946

Pagnol élu à l'Académie Française
Naissance de Frédéric Pagnol

1947

Pagnol reçu sous la Coupole. "Hamlet" de Shakespeare

1948

Film : "La Belle Meunière"

1950

Film : "Topaze" avec Fernandel

1951

Naissance d'Estelle. Mort de Joseph Pagnol

1952

Film : "Manon des Sources"

1954

Film : "Les Lettres de mon Moulin"

1955

"Judas", pièce en 5 actes. Mort d'Estelle

1956

"Fabien", comédie en 4 actes

1957

"Souvenirs d'enfance", "1.La Gloire de mon Père"

1958

"Souvenirs d'enfance", "2. Le Château de ma Mère"

1960

"Souvenirs d'enfance", "3. Le Temps des secrets"

1962

Inauguration du Lycée Marcel Pagnol à Marseille

1963

"L'Eau des Collines", roman, "Jean de Florette", "Manon des Sources"

1964

"Le Masque de Fer", essai historique

1974

Mort à Paris de Marcel Pagnol (18 avril)

1977

"Le Temps des Amours"

1985

Création au théâtre de "La Femme du boulanger"

1986

"Jean de Florette" et "Manon des sources" tournés par Cl. Berri

 

 

 

 

 

 

 

L'inauguration du Lycée Marcel Pagnol

Le samedi 6 Octobre 1962, jour de l'inauguration du lycée, un cortège officiel, mené par Marcel Pagnol et Gaston Deferre, remontait la fameuse allée des platanes, précédé par des huissiers municipaux : "On dirait des amirals", lança un élève, remarque qui n'aurait pas déparé une pièce de Pagnol et qui montrait que son esprit n'était pas mort à Marseille …

C'est sur le même ton que, selon "Le Provençal", l'Académicien lança : "A vous dire vrai, lorsque j'ai vu mon nom sur la grille du lycée, j'aurais préféré le voir écrit à l'encre noire sur le cahier de retenues du surveillant général."

Toutefois, l'importance de la création de ce grand lycée, destiné à répandre les connaissances scientifiques et la culture classique dans la banlieue Est de Marseille, n'échappait pas à Marcel Pagnol : "Ce lycée moderne, noyé dans la verdure, est, en fait, une très vieille école car il me fait penser à ce Lycée où Aristote, assis sur un banc, était entouré de ses jeunes élèves."

Le Maire de Marseille s'adressait ensuite aux nombreux élèves qui l'entouraient : "Je veux que vous compreniez que si le fils de l'humble instituteur de Saint-Loup est ce qu'il est, il le doit à ses dons exceptionnels mais aussi à son travail."

Plus de trente ans après, Pagnol est demeuré "ce lycée moderne noyé dans la verdure" où les vertus du travail savent se conjuguer avec la joie de vivre.

 

 

 

 

 

Un extrait du discours prononcé par Marcel Pagnol

lors de l'inauguration du lycée

"Je vous remercie, avec une grande et profonde émotion, d'avoir inscrit sur la façade du plus beau lycée de France, mon prénom, suivi du nom de mon père, l'instituteur de Saint-Loup. Je peux vous dire maintenant que la cérémonie d'aujourd'hui m'en rappelle une autre, qui eut lieu, il y a bien longtemps, dans la petite école communale de Saint-Loup, à cinquante mètres d'ici.

Mon père y était instituteur et il reste sans doute encore dans cette charmante bourgade quelques uns de ses anciens élèves, qui doivent avoir des barbes blanches … Un matin, malgré mon jeune âge, il m'emmena dans sa classe pour assister à un événement important.

Dans un grand silence, il écrivit la date sur le tableau noir qui était quadrillé de fines raies rouges : mais au lieu de l'écrire tout en haut, il l'installa au beau milieu du tableau en grandes lettres moulées. Cette date, c'était le 3 janvier 1901, celle de la première classe d'un siècle nouveau.

Il fit ensuite un discours dont je ne compris pas grand-chose, mais que j'ai entendu souvent par la suite.

Il disait que l'époque qui commençait ce jour-là serait celle de la science, et que nous aurions le privilège de voir des miracles qui feraient le bonheur de l'humanité. Il nous annonça l'avenir de l'automobile. On en voyait passer quelquefois une ou deux, annoncées par de crépitantes détonations, qui faisaient sortir tout le monde sur le pas des portes. Conduites évidemment par des fous intrépides, elles traversaient Saint-Loup dans un nuage asphyxiant de fumée bleue. Il nous affirma que ces voitures se multiplieraient à l'infini, qu'elles rouleraient beaucoup plus vite, qu'elles seraient à la disposition de tous, et qu'on les verraient conduites par des personnes raisonnables, peut-être même par des prêtres ou par des mères de famille.

Il parla ensuite des aéroplanes: M. Ader faisait depuis quelque temps des expériences, et il avait volé plusieurs fois à plus de trois mètres du sol, et sur des distances de plus de soixante mètres. "Ces aéroplanes, nous dit-il, vous les verrez passer là-haut, dans les nuages. Ils voleront aussi vite que des hirondelles, qui sont les plus rapides des océans". Il nous annonça ensuite que toutes les maisons auraient le gaz, la lumière électrique et parfois le téléphone, qui permettrait de parler - sans crier - à des personnes qui seraient à Aubagne ou à Saint-Marcel.

C'était un vrai conte de fées, et je crois qu'il n'eût pas osé parler avec une si sincère conviction devant de grandes personnes.

Ces incroyables prophéties se sont pourtant réalisées, et le progrès est allé bien au delà de ses prévisions les plus audacieuses, bien avant la fin de ce siècle …"

 

 

 

 

 

 

La célèbre partie de cartes

Tu me fends le cœur !

 

Marius

Acte Troisième

Il est neuf heures du soir. dans le petit café, Escartefigue, Panisse, César et M. Brun sont assis autour d'une table. Il jouent à la manille. Autour d'eux, sur le parquet, deux rangs de bouteilles vides. Au comptoir, le chauffeur du ferry-boat, déguisé en garçon de café, mais aussi sale que jamais.

Scène 1

(Quand le rideau se lève, Escartefigue regarde son jeu intensément, et, perplexe, se gratte la tête. Tous attendent sa décision.)

Panisse (impatient)

Eh bien quoi ? C'est à toi !

Escartefigue

Je le sais bien. Mais j'hésite …

(Il se gratte la tête. Un client de la terrasse frappe sur la table de marbre.)

César (au chauffeur)

Hé, l'extra ! On frappe !

(Le chauffeur tressaille et crie)

Le chauffeur

Voilà ! Voilà !

(Il saisit un plateau vide, jette une serviette sur son épaule et s'élance vers la terrasse.)

César (à Escartefigue)

Tu ne vas pas hésiter jusqu'à demain !

M. Brun

Allons, capitaine, nous vous attendons !

(Escartefigue se décide soudain. Il prend une carte, lève le bras pour la jeter sur le tapis, puis, brusquement, il la remet dans son jeu.)

Escartefigue

C'est que la chose est importante ! (à César) Ils ont trente-deux et nous, combien nous avons ?

(César jette un coup d'œil sur les jetons en os qui sont près de lui, sur le tapis.)

César

Trente.

M. Brun (sarcastique)

Nous allons en trente-quatre.

Panisse

C'est ce coup-ci que la partie se gagne ou se perd.

Escartefigue

C'est pour ça que je me demande si Panisse coupe à cœur.

César

Si tu avais surveillé le jeu, tu le saurais.

Panisse (outré)

Eh bien, dis donc, ne vous gênez plus ! Montre-lui ton jeu puisque tu y es !

César

Je ne lui montre pas mon jeu. Je ne lui ai donné aucun renseignement.

M. Brun

En tous cas, nous jouons à la muette, il est défendu de parler.

Panisse (à César)

Et si c'était une partie de championnat, tu serais déjà disqualifié.

César (froid)

J'en ai souvent vu des championnats. J'en ai vu plus de dix. Je n'y ai jamais vu une figure comme la tienne.

Panisse

Toi, tu es perdu. Les injures de ton agonie ne peuvent pas toucher ton vainqueur.

César

Tu es beau. Tu ressembles à la statue de Victor Gélu.

Escartefigue (pensif)

Oui, et je me demande toujours s'il coupe à cœur.

(A la dérobée, César fait un signe qu'Escartefigue ne voit pas, mais que Panisse a surpris.)

Panisse (furieux)

Et je te prie de ne pas faire de signes.

César

Moi je lui fais des signes ? Je bats la mesure.

Panisse

Tu ne dois regarder qu'une seule chose : ton jeu. (à Escartefigue) Et toi aussi.

César

Bon. (Il baisse les yeux vers ses cartes.)

Panisse (à Escartefigue)

Si tu continues à faire des grimaces, je fous les cartes en l'air et je rentre chez moi.

M. Brun

Ne vous fâchez pas, Panisse. Ils sont cuits.

Escartefigue

Moi, je connais très bien le jeu de manille, et je n'hésiterais pas une seconde si j'avais la certitude que Panisse coupe à cœur.

Panisse

Je t'ai déjà dit qu'on ne doit pas parler, même pour dire bonjour à un ami.

Escartefigue

Je ne dis bonjour à personne. Je réfléchis à haute voix.

Panisse

Eh bien ! Réfléchis en silence … (César continue ses signaux) Et ils se font encore des signes ! Monsieur Brun, surveillez Escartefigue, moi, je surveille César.

(Un silence. Puis César parle sur un ton mélancolique.)

César (à Panisse)

Tu te rends compte comme c'est humiliant ce que tu fais là ? Tu me surveilles comme un tricheur. Réellement, ce n'est pas bien de ta part. Non, ce n'est pas bien.

Panisse (presque ému)

Allons, César, je t'ai fait de la peine ?

César (très ému)

Quand tu me parles sur ce ton, quand tu m'espinches comme si j'étais un scélérat … Je ne dis pas que je vais pleurer, non, mais moralement, tu me fends le cœur.

Panisse

Allons, César, ne prends pas ça au tragique !

César (mélancolique)

C'est peut-être que sans en avoir l'air, je suis trop sentimental. (à Escartefigue) A moi, il me fends le cœur. Et à toi, il ne te fait rien ?

Escartefigue (ahuri)

Moi, il ne m'a rien dit.

César (Il lève les yeux au ciel)

O Bonne Mère ! Vous entendez ça !

(Escartefigue pousse un cri de triomphe. Il vient enfin de comprendre, et il jette une carte sur le tapis. Panisse le regarde, regarde César, puis se lève brusquement, plein de fureur.)

Panisse

Est-ce que tu me prends pour un imbécile ? Tu as dit : "Il nous fend le cœur" pour faire comprendre que je coupe à cœur. Et alors, il joue cœur, parbleu !

(César prend un air innocent et surpris.)

Panisse (Il lui jette les cartes au visage)

Tiens, les voilà tes cartes, tricheur, hypocrite ! Je ne joue pas avec un Grec ; siou pas plus fada qué tu, sas ! Foou pas mi prendré per un aoutré ! (Il se frappe la poitrine.) Siou mestré Panisse, et siès pas pron fin per m'aganta !

(Il sort violemment en criant : "Tu me fends le cœur." En coulisse, une femme crie : "Le Soleil ! Le Radical !"